Il existe une crise humanitaire dans un petit coin de l’Europe et nos yeux refusent de la voir.  

Si nous regardons au-delà des unes des journaux, nous voyons des centaines de personnes désespérées essayant simplement de survivre à cet hiver lugubre. Nous pouvons voir de jeunes hommes portant des tongs, expulsés de leurs tentes fragiles à l’aube lors de raids de la police, battus et attaqués avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, laissés avec seules possessions ce qu’ils portent sur le dos.

Frigorifié, trempés, affamés et effrayés, ce sont les « oubliés », ceux que l’on ignore délibérément. Pourtant, nous sommes la cause de leur situation critique actuelle et les traitements les plus sévères qu’ils reçoivent sont financés conjointement par notre propre gouvernement. Ils ne sont qu’à 35 minutes en train de la côte anglaise, ils sont à Calais.

S’il s’agissait des chiens, les auteurs de leurs mauvais traitements seraient traînés devant les tribunaux, la presse serait en ébullition, le grand public britannique réclamerait justice. En réalité, nous sommes assourdis par le silence.

Je suis venu à Calais il y a presque deux semaines, pour voir, de mes propres yeux, la détresse des quelque mille réfugiés qui couchent dehors, actuellement dans la région. Bénévole au sein de Care4Calais, l’association caritive pour les réfugiés, j’ai été submergé par la bonne volonté des réfugiés qu’ils aident, par le courage et la résilience qu’ils démontrent, face à l’horreur de leur vie. Tout cela m’a ne m’a rendu admiratif.

J’ai également pleuré en m’endormant, en réfléchissant à leurs histoires individuelles personnelles et leurs aux voyages personnels qui les ont conduits à ces refuges infernaux au dans le nord de la France.

Il n’y a pas de camps dans le nord de la France : c’est la ligne officielle. La Jungle qui, à son apogée, avait une population près de 10.000 habitants, a été détruite en 2016. Les expulsions ont déplacé les réfugiés, les bois ont été abattus, et des kilomètres des clôtures en acier et des barbelés se frayent maintenant un chemin à travers le paysage normand. Beaucoup de réfugiés se sont dirigés vers Paris, Lille et Bruxelles, et de nouveaux camps non officiels se sont établis.

A Calais, et le long de la côte jusqu’à Dunkerque, des centaines de réfugiés désespérés sont encore là, et de nouveaux continuent d’arriver, malgré la réponse extrêmement hostile des autorités.

Sur un site surnommé BMX, à cause de son emplacement à côté d’un parcours à de vélos local, environ 180 réfugiés érythréens tentent de vivre. La première fois que j’ai visité ce site, j’ai été surpris par le soin avec lequel les réfugiés s’occupaient d’eux-mêmes, malgré leurs conditions de vie lamentables. Nous leur avons donné de la nourriture à cuisiner, et leur avons donné l’occasion de recharger leurs téléphones, le seul moyen qu’ils possèdent pour contacter leurs familles qui sont à des milliers de kilomètres. Nous avons apporté un grand haut-parleur pour qu’ils puissent jouer leur musique, leur avons distribués du thé, du café et des biscuits, ainsi que des tondeuses et des ciseaux afin qu’ils puissent se couper les cheveux. Pendant qu’ils ont jouaient au football et au volley-ball, s’amusaient en jouant aux jeux de cartes, Jenga, et Puissance 4, j’ai appris quelque chose de leur vie.

Et, pendant tout ce temps, nous avons été surveillés par deux fourgons extrêmement intimidants de la police nationale française, les Compagnies Républicaines de Sécurité, les CRS.

La semaine précédente, sur ce site, un raid particulièrement brutal effectué par les CRS avait eu lieu. Ils ont détruit les affaires des réfugiés, tailladé les tentes, confisqué les sacs de couchage. Ils ont utilisé plusieurs grenades lacrymogènes, lance-balles de défense, et des balles en caoutchouc. Un jeune homme, qui s’est enfui devant les CRS, aveuglé par le gaz, s’est rué sur la route et a été heurté par une voiture. Il est mort plus tard à l’hôpital. Un deuxième jeune homme a été touché au visage par une balle en caoutchouc, il est encore à l’hôpital, sa situation est grave.

Dans l’ombre des CRS, j’ai ri avec ces jeunes hommes résilients, alors qu’ils se délectaient du bref répit que nous pouvions leur donner de pour échapper momentanément de la réalité de leur vie. Ces réfugiés, principalement de jeunes hommes fuyant la réalité brutale de la conscription en Erythrée, étaient remarquablement respectueux, polis et attentionnés, nous inondant de gratitude pour le peu d’aide que nous pouvions leur apporter. Au moment où nous nous préparions à partir, j’ai les ai vus commencer à repartir vers leurs petits feux, leurs bâches si légères et leurs tentes qui fuyaient, le seul abri qui leur restaient après la dernière expulsion par les CRS.

Cette nuit-là, la température a chuté, et j’ai pleuré pour la première fois assis dans la chaleur de mon appartement alors que j’écrivais mes notes du jour.

En passant plus de temps ici, j’ai eu l’occasion de faire connaissance avec de plus en plus de réfugiés. Ils m’ont raconté leurs histoires., et j’avais peu de choses à leur donner en retour - ils ont pourtant continué à manifester de l’humilité, de la bonne volonté et même de la compassion à mon égard.

Hier, j’étais à Dunkerque, et c’était une journée triste. Il avait plu toute la nuit et un vent glacial venait de la Manche. Je me suis retrouvé à parler à une infirmière britannique qui avait fait du bénévolat auprès de l’organisation caritative de premiers secours, FAST, et je lui ai demandé quels étaient les problèmes les plus communs qu’elle avait dû traiter. Elle m’a dit « à Dunkerque, nous traitons beaucoup de crevasses sur les pieds, ils ne peuvent tout simplement pas se sécher. »

Alors que j’étais protégé par de nombreuses couches de vêtements chauds, et d’EPI, distribuant des biscuits avec des réconfortantes tasses de thé, j’ai été approché par Ali, un homme qui n’avait pas de manteau et qui ne portait qu’un caleçon sans pantalon. Ce matin-là, une nouvelle expulsion avait eu lieu. Un grand nombre de CRS, fortement armés, avaient traversé le site, tirant les réfugiés de leurs tentes. Ali s’est réveillé à cause du bruit et a réussi à saisir ses bottes en sortant de sa tente: c’était tout ce qui lui restait. Ses quelques affaires, sa petite tente et son sac de couchage, quelques articles pour cuisiner, et bien sûr, son pantalon, lui avaient tous été enlevés ou détruits.

Malgré tout ce qui s’était passé, il avait conservé sa fierté et a montré des niveaux incroyables de gratitude pour le peu d’aide que nous avons pu lui donner. Il m’a dit qu’il était tout simplement reconnaissant d’avoir ses deux chaussures – lors d’expulsions passées, les CRS ont avaient pris l’une des chaussures des réfugiés, une forme d’abus particulièrement insensée et vindicative.

Ce matin, comme j’aidais à distribuer des colis alimentaires aux réfugiés vivants sous les ponts au centre de Calais, j’ai été choqué de trouver un groupe de six personnes qui dormaient sous une arche, au milieu des flaques d’eau et de la boue, dans un espace de seulement 25 cm de hauteur. Une façon de se tenir à l’abri des CRS.

Alors que nous retournions à nos véhicules, l’un des autres volontaires a reçu un sms d’un réfugié à Dunkerque, les CRS avaient effectué un nouveau raid. Il ne restait pourtant rien à prendre à Ali.

La hiérarchie des besoins de Maslow commence au niveau de base, avec les besoins physiologiques, par exemple, la nourriture et l’abri, le niveau suivant étant la sécurité. Ce n’est pas seulement le fait que ces besoins simples ne soient pas accordés aux réfugiés, c’est qu’on les leur refuse délibérément, ici même, à notre porte.

Les CRS sont en première ligne. La politique consiste à déployer des hommes qui viennent de tous les coins de la France et de ne les faire servir que deux semaines à la fois. L’objectif de cette stratégie est d’assurer que leurs affectations ne soient pas suffisamment longues pour qu’ils commencent à fraterniser avec les réfugiés, à développer une sorte d’empathie envers eux. Au contraire cette stratégie les déshumanisent activement en leur niant leurs besoins les plus élémentaires.

Et le Royaume-Uni n’est pas innocent dans cette affaire.  Au contraire, il est au cœur de tout cette situation.

Le Royaume-Uni ne prend que 5% des réfugiés à la recherche d’un endroit sûre en Europe, soit un quart de ceux qui choisissent de rester en France. Même si le Ministre de l’Intérieur, Priti Patel, qualifie les réfugiés ayant réussi à entrer dans le pays comme d’« illégaux», il faut noter qu’ils n’ont, en fait, accès aux voies dites « légales ». Le Royaume-Uni a fermé ses portes et a même annoncé une augmentation des moyens financiers destinés à soutenir les efforts de sécurité mis en place par le gouvernement Français, c’est à dire, le travail des CRS. Avec ces portes fermées, les seules routes menant aux le Royaume-Uni sont celles des passagers clandestins cachés dans les camions, ou l’option horriblement dangereuse de la traversée en bateau.

Mais, tout cela n’est pas une fatalité. Nous pouvons rendre hommage à Maslow et répondre aux deux couches de base de leurs besoins. Le Royaume-Uni peut travailler avec les Français pour dépenser notre argent pour assurer que les gens aient des endroits sûrs où séjourner, à l’abri de la violence et des expulsions qui ne mènent à rien. Et si nous ne voulons pas que les gens fassent des traversées risquées en bateau, ou qu’ils essaient de se cacher à l’arrière des camions, nous pouvons leur fournir des moyens légaux d’entrer dans le pays. Une première évaluation rapide, du côté français de la Manche, pourrait identifier ceux qui sont dans de véritables situations de demande d’asile, détruisant d’un seul coup la possibilité d’un trafic illégal.

Mais le gouvernement britannique ne montre aucune intention de résoudre ces problèmes, et les expulsions continuent. Il y a quelques mois à peine que les CRS ont encerclé les réfugiés, avant de les fourrer dans des bus, vêtus seulement dans les vêtements qu’ils portaient. Les bus se sont dirigés vers le sud, dans la nuit. Les réfugiés n’avaient aucune idée de leur destination. Ce sont seulement des gens qui fuyaient les endroits qui sont parmi les plus dangereux du monde, qui ont tracé leur chemin jusqu’ici, à Calais, avec l’intention d’atteindre les bras accueillants du Royaume-Uni. Désorientés et effrayés, ils ont été emmenés en bus, à l’autre bout de la France, vers les Pyrénées, pour être jetés à la frontière espagnole.

Certains d’entre eux ont réalisé ce qui se passait et, dans certains bus, ils ont fait semblant de se battre entre eux, provoquant l’arrêt des bus, ce qui leur a donné l’occasion de s’échapper.

L’un des responsables bénévoles de Care4Calais a reçu un coup de fil qui l’a informé de leur sort. Il a passé le reste de la nuit en parcourant une Normandie froide et humide en voiture en essayant de trouver de petits groupes de réfugiés pour les ramener à un semblant de sécurité. Quand ils sont revenus à leurs tentes, il n’y avait plus rien, les CRS avaient tout saisi.

S’il s’agissait de chiens, traités comme ça, ce serait l’ébullition, des deux côtés de la Manche.

Et ce sont de vraies personnes. Chacun a sa propre histoire à raconter, les raisons qui les ont poussés à quitter leur pays, leur voyage pour arriver en France, et maintenant les horreurs d’une vie au seuil du Royaume-Uni.

Il y a Sai, 29 ans, intelligent, drôle, et, à première vue, éternellement optimiste. Il a quitté son domicile, sa famille et tout ce qu’il aimait au Soudan il y a sept ans, fuyant les conflits, la violence et face à une mort presque certaine. Son anglais est excellent, et il travaille dur comme bénévole pour aider d’autres réfugiés. Il est en France depuis trois ans, et malgré les nombreuses langues qu’il parle, il ne parle pas le français. Comme beaucoup d’autres réfugiés, il voit l’apprentissage de la langue française comme une acceptation qu’il devra rester dans le pays. Il y voit aussi la langue des CRS. Lorsque votre expérience dominante d’une langue est celle de l’agression et de la violence, elle induit bien peu d’amour.

Et mon ami Hari, 20 ans, d’Afghanistan. Il a quitté sa maison et sa famille alors qu’il venait d’avoir 17 ans. Il ne pouvait pas rester, ce n’était tout simplement pas sûr. Il a un bon niveau d’anglais et il passe son temps à aider les associations caritatives pour réfugiés dans la région. Après avoir passé trois mois à essayer de traverser la Manche, il garde encore l’espoir. Hari m’a raconté quelques-unes des péripéties de son voyage pour arriver jusqu’à cet endroit, des expériences bien au-delà de tout ce que nous pouvons comprendre et imaginer. Il n’est plus surpris par les actes de violence commis par les CRS. Hari est comme mes propres fils, à part le fait qu’ils ont eu la chance d’être nés dans un pays d’où ils n’avaient pas besoin de fuir.

Majid vient d’Irak, il a 43 ans. Il parle un excellent niveau d’anglais et a été traducteur pour les forces américaines et britanniques. En raison de son travail, il a dû fuir le pays après que sa famille a été ciblée par les militants. Il est arrivé au Royaume-Uni et a réussi à se faire une nouvelle vie, se marier et même avoir une fille. Peu de temps après sa séparation de sa femme, le gouvernement britannique a décidé qu’il était sûr pour lui de rentrer chez lui, et il a été renvoyé en Irak. Avec son excellent anglais, il a recommencé son travail comme interprète, mais on l’a pris pour cible encore une fois. Majid a travaillé avec trois autres hommes, ils sont tous morts maintenant, deux d’entre eux dans ses bras. Majid m’a raconté son histoire, en s’excusant de m’avoir interrompu dans mon travail qui consistait à verser des tasses de thé et de café. Majid dormait à Calais dans une vieille tente même plus étanche à Calais depuis plus de quatre mois, il savait que sa seule option était de partir en bateau, malgré les lettres qu’il avait des forces britanniques et américaines qui faisait témoignage de son statut de réfugié. Comme il parlait de la traversée, sa voix a commencé à se briser. Majid est grand, mais il avait peur. Il m’a dit aussi qu’il était extrêmement fatigué, qu’il était gêné de le dire, mais que la vie dans le Nord « l’épuisait ».

Ali m’a arrêté alors qu’il faisait la queue pour une couverture à l’une de nos distributions, il avait froid et était trempé. Ce matin-là, il avait échappé aux CRS pendant une expulsion, au cours de laquelle il a perdu son pull et son manteau, ainsi que son sac de couchage et sa tente. Il s’était fait des copains et il dormirait dans leur tente cette nuit-là, mais il était heureux d’obtenir au moins une couverture. Il m’a demandé si je pouvais lui trouver un manteau, mais nous n’en avions pas avec nous ce jour-là. Il est revenu me chercher plus tard pour me remercier pour la couverture, ainsi que pour le café que je lui avais servi. J’ai pleuré en pensant à lui cette nuit-là, froide et humide.

Mo, un jeune homme intelligent et fier du Kurdistan, m’a parlé de ses films préférés, de sa connaissance encyclopédique du cricket et de ses rêves pour l’avenir, de travailler avec son oncle à Nottingham. Il m’a aussi parlé de sa maison, de la violence ciblée qui l’a chassé de sa famille, de sa haine pour les CRS et de son désir de vivre, un jour, une vie normale

Les histoires personnelles continuent. Chaque jour, il y en a de nouvelles. J’ai déjà rempli un carnet et presque un second. Ces histoires, qui montrent le côté humain, sont le contrepoint à l’approche déshumanisante et sans visage adoptée par les CRS. Ils sont l’humanité qui ont marqué mes expériences ici, apporté des sourires, déclenché des larmes, et m’a m’ont rendu humble au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer auparavant.

Et, dans quelques jours, je rentrerai chez moi, avec ma femme et mon chien. Je l’aiderai à mettre en place les décorations de Noël, peut-être à commencer à emballer certains des nombreux cadeaux que nous avons achetés pour nos enfants dispersés partout dans le monde, en toute sécurité et en pleine connaissance qu’ils sont assis tout en haut de la hiérarchie des besoins de Maslow. Nous allumerons un feu, verserons un verre de vin français et lèverons nos verres à mon retour sain et sauf à la maison, après deux semaines où nous étions séparés l’un de l’autre.

Et, là-bas, dans le nord de la France, peu de choses auront changé. D’autres passages auront été tentés, des expulsions plus brutales auront été entreprises, et il fera plus froid, plus humide, plus difficile, simplement de survivre. Et dans des tentes froides et trempés, quelque part, seront Mo, Ali, Majid, Sai, et Hari, et toutes les autres personnes qui ont partagé leurs histoires avec moi, ainsi que des centaines d’autres tout comme eux.

Cela va juste continuer.

Et je sais que s’il s’agissait des chiens, nous serions tous outragés. Ce que j’ai vu est inhumain, nous devrions tous être indignés.

A shorter version of this article was published on 23rd December 2020 in The Byline Times.

Translation courtesy of Reach Language Services

Photograph courtesy of Stephen F. Evans Photography

A recipient of a Coat for Calais. Knowing you’ll be just that little bit warmer makes such a difference.

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